vendredi 3 août 2012

Patrick Besset : « Je n’ai jamais connu de syndrome de la page blanche »

Photo de Patrick Besset, datant de 1999, prise par Raymond Souhami, un photographe.
Photo de Patrick, datant de 1999, prise par Raymond Souhami, un ami photographe.

Patrick Besset, écrivain, partage dans un entretien à Écrire un roman, sa vision de l’écriture et du monde de l’édition. Passionné de littérature, il a à son actif quelques romans, une pièce de théâtre et une vingtaine de nouvelles.

Vous pouvez le retrouver sur son blog : « Patrick Besset... écrire avant tout ! »

Présentation


Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?


Je suis né à Toulouse, un 15 mai 1960... J’aurais préféré naître en terre basque comme ma mère, histoire d’oser croire que j’aurais pu apprendre sa langue secrète dès l’enfance. En fait, je ne l’ai entendue qu’au travers des mots de ma grand-mère. Déjà dire, raconter prenait les contours d’un mystère. J’ai eu la vie d’un cadre commercial, souvent sur les routes de France, pestant de ne pas avoir le temps d’écrire, quand je le consacre à remplir des bons de commande, à visiter une clientèle de pharmaciens ou de vétérinaires et trop stressé pour écrire durant les temps de chômage, entre deux postes.

Quel est votre parcours d’auteur ?


Tout d’abord, l’amour de la langue française, la quête perpétuelle du mot juste, un combat de toujours pour défendre mon vocabulaire jugé trop riche par mes potes, par mon entourage qui me pensait certainement pédant quand je les désarçonnais. Je rétorquais bien souvent :
« Pourquoi se contenter d’utiliser quelque 400 mots comme tout français moyen pour balbutier misérablement, chichement quand nos dictionnaires en abritent bien 40 000 pour mieux nous exprimer ? A-t-on vu beaucoup de peintres ne pas s’emparer de tous les pigments mis à leur disposition ? »

Puis, me vint l’envie d’être lu par un plus grand nombre et pour cela, il me fallait être publié ; je le fus pendant trois années à la fin des années 80 pour nombre d’articles, de critiques littéraires et artistiques dans un quotidien régional – Le Journal de Toulouse – ce qui me fit découvrir être l’objet de l’attente de certains lecteurs avides de me lire. Je m’intéressai ensuite au genre de la nouvelle littéraire et fus lauréat en 1998 du concours de la nouvelle policière de la RTBF, en Belgique. Depuis lors, je n’ai cessé de caresser le doux rêve de pouvoir vivre, un jour, exclusivement de mes droits d’auteurs et j’écris des romans, des nouvelles, du théâtre.

Depuis combien de temps écrivez-vous ?


Depuis l’âge du lycée, j’ai écrit pour mieux dire... mon admiration, mes moqueries, mes révoltes, mes amours.

Comment vous est venue cette envie d’écrire ? Avez-vous d’autres passions ?


Je me souviens que c’est lors de ma première année en médecine, en 1979, que j’ai décidé qu’un jour, je serai écrivain... je suis passionné par la peinture, la sculpture, l’observation de la nature et de mes semblables.

Routine de vie


Travaillez-vous dans un endroit fixe ? Si oui, pouvez-vous le décrire ?


Il s’agit de mon appartement, parfois dans le salon, sur une table bistro ou dans la cuisine, j’affectionne d’écrire pendant que mijote un bon ragoût sur le feu et le plus souvent, dans mon bureau qui est une vraie tanière : amoncellement de documentations diverses, de livres, d’un fouillis qui ferait frémir n’importe quelle chatte pouvant y perdre ses chatons. Je travaille sur un immense bureau modulable, fait sur mesure dans les années 80, par une société d’Albi avec un très grand plateau sur lequel, j’ai pu tour à tour poser mes divers ordinateurs et mes multiples écrans. Aujourd’hui, un desktop est à mes pieds et un écran plat de 19 pouces en face de moi, à presque une longueur de bras, un clavier et une souris sans fil pour ne pas me sentir entravé.

Combien de temps consacrez-vous à l'écriture par jour, par semaine ?


J’écris bien au moins une heure par jour sinon, je ne suis pas bien et il m’arrive d’écrire quelques heures d’affilée en plein élan créatif.

Aimez-vous travailler dans le silence ou en musique ?


Je n’ai pas de règle. Le silence peut être pesant durant la journée et la TV est souvent en fond sonore dans une pièce voisine, car je vis seul, en célibataire géographique... mais durant la nuit qui est vraiment productive pour moi, j’écris dans le silence, car je suis respectueux du sommeil de mes voisins.

Êtes-vous sujet à la procrastination ?


Je pense constamment au texte que j’ai sur mon établi (dans la mémoire de mon ordinateur) même si je n’écris pas et je m’accorde alors l’absolution devant mes temps de « repos » quand d’y penser, de ratiociner a fait naître quelques bonnes idées, quelques belles phrases.

Méthodes d’écriture


Écrivez-vous sur papier ou ordinateur ? Pourquoi ?


Sur un ordinateur ou dans des carnets ou des cahiers... je suis un vrai senior geek et dans des carnets ou des cahiers, car cela correspond à un besoin sensuel, au désir d’étreindre la langue, de la modeler comme je le fais de l’argile pour mes sculptures. Sur l’ordinateur grâce à la fonction copier-coller, le texte est tout de suite impeccable en apparence et les repentirs ont disparu... alors que la relecture des brouillons peut conduire à explorer d’autres paysages abandonnés précédemment. Sur l’ordinateur, ils sont radicalement effacés de ma mémoire dans le même temps qu’ils sont effacés de la mémoire vive de mon PC. Ce serait donc dommage de se priver de l’écriture à l’ancienne... Continuons donc à sucer le bout du crayon à papier aiguisé au taille-crayon à manivelle et glissé à l’oreille comme le faisait le boucher de mon enfance avant de jeter les deux steaks sur le plateau de la balance !

Avez-vous déjà vécu le syndrome de la page blanche ? Si oui, quelle est votre recette pour le vaincre ?


Je n’ai jamais connu de syndrome de la page blanche, car j’ai toujours fait une parallèle avec la sculpture... la réussite de la mise en forme d’un texte médiocre naît de son patient malaxage, de la mobilité de ses mots, de ses phrases tout comme une informe masse de terre argileuse qui colle aux doigts s’échauffe à force de trituration et donnera naissance à une forme sublimée par la pensée jusqu’à devenir un splendide totem. Il faut donc accepter l’idée fondamentale qu’un chef d’oeuvre peut être l’évolution d’un laborieux travail et que de produire parfois de la merde nous rend plus humains, moins proche des dieux... C’est presque rassurant pour ne pas se vivre en démiurge et pour éviter de subir la fin d’Icare ! Ainsi, la hantise de mal faire faire ne me paralyse pas ; la peur de la page blanche n’a pas de sens, car il n’y pas d’enjeu. Pratiquer l’art de la nouvelle, du texte court permet de désacraliser l’art d’écrire et m’a rendu familier avec la création de nombreux personnages et il me sied mieux d’écrire n’importe quoi que de de ne rien écrire.

Écrivez-vous sans savoir où vous allez ou planifiez-vous votre histoire ?


À la rigueur, j’ai une intention... comme fil conducteur ; ensuite les personnages font irruption dans ma conscience et habitent mon imaginaire, le temps du récit.

Utilisez-vous une méthode particulière (plan, fiches de personnages, synopsis…) ?


À l’usage, je me suis aperçu que c’était vain... les personnages deviennent parfois importuns, tantôt envahissants, tantôt discrets, car ils ont leur propre vie que je ne maîtrise pas, j’en suis à la rigueur l’échotier, le biographe.

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, feuilles volantes, logiciel…) ?


Non, je me goinfre d’images et de souvenirs sonores, olfactifs, visuels sur lesquels j’ai greffé des mots sur l’instant pour essayer de les décrire... jusqu’à la saturation.

Qu’est-ce que change l’écriture d’une série de celle d'un roman unique ?


Je n’ai pas d’avis sur la question...

Inspirations


Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, films, livres, photos ?


En étant à l’écoute du monde qui m’entoure, en évitant de ne regarder que mon nombril, en aiguisant mon appétit des créations d’autrui.

Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?


« Écrire, guide pratique de l'écrivain, avec des exercices » de Jean Guénot, le pape de l’auto-édition auquel j’ai consacré plusieurs articles de presse par le passé. Récemment, à la suite de leur mise en ligne sur mon blog littéraire, je l’en ai averti et il m’a gentiment répondu, presque espiègle, qu’il était toujours vivant, fidèle au poste.

Comment procédez-vous pour vous démarquer ?


Je ne procède pas, car le plus grand travail de l’écrivain comme de tout artiste est de se débarrasser de la facilité de faire « à la manière de » pour parvenir à accepter de parier qu’il est unique à tel point que ce qui fera sa force, son pouvoir d’attraction, sa sève, son miellat est justement son authenticité, sa singularité. Il faut travailler à ne pas être orgueilleux, mais à tenter de n’être que vaniteux...

Qui sont vos auteurs préférés ?


Jim Harrison, Philippe Djian, Pascal Quignard, Cioran, Tony Hillerman, Arthut Upfield, Sam Shepard, Raymond Carver, Norman Mc Lean, John Fante et tant d’autres...

Quel est le livre qui constitue votre idéal en terme d’écriture ? Pourquoi ?


Je n’ai pas de réponse précise, car je ne recherche pas de modèle... c’est sans intérêt.

Quels conseils donnerez-vous aux auteurs qui souhaitent écrire un roman et l’éditer ?


Tout d’abord, lire, lire et lire encore... n’importe quoi, tout est bon ! Et lorsque l’envie d’écrire se fait sentir, écrivez. Pour ce qui est d’être édité, apprenez au préalable les règles du jeu : un éditeur est un marchand qui veut gagner sa vie non pas grâce aux compliments des critiques littéraires — qui reçoivent gracieusement les offices de presse qu’ils revendront plus tard comme livres d’occasion pour arrondir leurs fins de mois, car dure est la vie du pigiste —, mais grâce aux milliers sinon aux millions de livres achetés par des lecteurs qui paient à la caisse d’une librairie de quartier, d’un hypermarché ou sur un site en ligne. Et ce qu’il publiera n’est pas forcément le plus beau des textes, mais plus facilement le texte à la portée du plus grand nombre... si vous ne voulez pas souffrir, ne mettez jamais d’amour-propre dans votre relation avec un éditeur : vous ne parlerez jamais la même langue. Restez lucide, ne défendez pas votre oeuvre comme la prunelle de vos yeux, mais comme le kilo de tomates vantées pour être meilleures en croque-sel, que vous voulez vendre à la ménagère de moins de cinquante ans qui repasse devant votre étal pour la troisième fois telle une tapineuse, car elle a remonté le boulevard pour comparer les prix et l’apparence des légumes dont elle veut faire l’achat à moindre coût, histoire de cuisiner à son homme, une ratatouille digne de la recette de Belle-Maman.

Actualités


Quelle est votre actualité (projets, souhaits, etc.) ?


Achever un roman que j’ai sur mon établi depuis 1997 et qui a connu plusieurs versions successives, l’envoyer à mon éditeur qui trépigne puis acheter une jolie propriété à la campagne pour y fuir la sauvagerie annoncée de la prochaine rentrée littéraire.

Combien de temps avez-vous mis pour écrire votre premier manuscrit ? Et combien pour le corriger ?


Je crois me souvenir l’avoir écrit en un seul mois, un mois d’août torride de l’année 1979, suant jour et nuit, dans un état de transes... et une bonne année à le corriger.

Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés ? Comment les avez-vous dépassés ?


Éviter le découragement, les pensées négatives de la mauvaise Muse, qui me susurrait à l’oreille : « Pour qui te prends-tu ? Écrivain, toi ? Jamais. »

Comment avez-vous réussi à décrocher un contrat avec une maison d'édition ? Avez-vous des recommandations à ce sujet ?


Par le plus grand des hasards... il était celui choisi par la RTBF qui organisait son prix de la nouvelle policière. Aucun conseil sinon d’éviter les escrocs et les pièges de l’édition à compte d’auteur.

Pourriez-vous nous détailler la méthode de travail de votre éditeur avec un auteur comme vous ?


Pas du tout, mon éditeur fait son travail d’éditeur : vendre mes livres et je fais le mien : celui d’écrire. Je n’attends de lui que des résultats qui se manifestent sous la forme d’un chèque des droits qui me sont dus et je me sers de tous les moyens légaux pour veiller à ne pas être grugé, dont celui d’exiger les respects du Code de la Propriété Intellectuelle.

Aux termes des articles L 132-13 et L 132-14 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), « l’éditeur est tenu de rendre compte » à l’auteur pour tout contrat d’édition et « de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes ».

La reddition des comptes est un document informatif qui doit permettre à l’auteur de connaître le plus fidèlement possible la réalité de l’exploitation de son oeuvre. Celle-ci doit être explicite et transparente.

Le Code des usages signé le 5 juin 1981 par le SNE et le CPE a complété ces principes. Il indique notamment que l’éditeur est tenu d’adresser à l’auteur au moins une fois par an un relevé de ses droits d’auteurs.

Cette obligation d’envoi systématique est limitée aux cinq premières années d’exploitation de l’ouvrage. Au-delà de ces cinq années, le relevé doit être établi par l’éditeur et être tenu à la disposition de l’auteur ou lui être communiqué à sa demande.

Un dernier mot à nos lecteurs ?


Tout d’abord, régalez-vous en lisant et prenez un pied gigantesque en écrivant si vous vous sentez être fait pour ça et n’écoutez pas les empêcheurs de tourner en rond qui vous jugent indignes d’une telle prétention. Courage aux coeurs fidèles, hardis ils vaincront !

Pour en savoir plus, lisez mon article : « Une leçon d'écriture ? S'il vous arrive de vivre pareille mésaventure... écrivez-moi, les quiproquos sont rigolos ! »

Entretien de Paul Dubois avec Patrick Besset.

4 commentaires:

  1. Merci pour cette interview passionnante, les conseils de Patrick Besset sont clairs et utiles.

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  2. Heureux de voir que ça vous plaise.

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    1. Cher Monsieur Dubois,
      vous ressemblez trait pour trait à l'acteur américain Christopher Walken. On a déjà du vous le dire...que c'est étrange!Se pourrait-il qu'il y ait confusion de photos?

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