vendredi 26 octobre 2012

Pourquoi vos personnages laissent-ils vos lecteurs indifférents ? — Partie 1

Photo d'un théâtre de marionnettes où la représentation est assurée par des figurines, manipulés en temps réel par des marionnettistes (ou manipulateurs).
Connaissez-vous le secret des personnages réussis ?

« Sans personnage, pas de roman », disait Anthony Burgess.

L'auteur de L'Orange Mécanique, un roman d'anticipation porté à l'écran en 1971 par Stanley Kubrick, n’y va pas par quatre chemins. Les protagonistes soutiennent l'intrigue et non l’inverse.

En tant qu’auteurs, nous manquons souvent de recul pour déceler les failles et les faiblesses de nos personnages. Quelquefois, il nous arrive de cerner à merveille le caractère, la personnalité de nos personnages.

Pourtant, leur donner vie sur le papier relève d’une tout autre histoire. Inutile de vous rappeler que les lecteurs sont aveugles, avant de commencer un livre ; ils ne connaissent rien de vos protagonistes, ni de votre intrigue.

La mission revient donc à vous de les éclairer à travers des voies plus ou moins subtiles. Mais, avant tout, voyons, si vous tenez le bon personnage.

Voici un récapitulatif des erreurs communes, liées à la création de personnages, et les pistes à suivre pour chaque situation. Un aide-mémoire à l’adresse des écrivains en herbe.

Créer un bon personnage de roman : les principaux écueils


Cette liste, non exhaustive, vous prêtera main-forte, lorsqu’il s’agira d’identifier, entre autres, des problèmes de caractérisation ou de cohérence. Je vous recommande donc de faire passer le test à chacun des acteurs de votre histoire.

1. La coquille vide


Un nerd, dans le domaine des stéréotypes de la culture populaire, est une personne solitaire, passionnée et obnubilée par des sujets liés aux sciences (notamment les mathématiques, la physique et la logique).
Les génies, des personnages stéréotypés. La faute aux scénaristes ?

Il n’existe rien de plus agaçant pour un lecteur que de faire face à un protagoniste pauvre, sans personnalité, sans passé, ni vécu. Votre personnage doit porter la trame et non pas la subir.

Par exemple, dans le roman biographique de Christopher McCandless, Voyage au bout de la solitude (Into the Wild pour les intimes), le choix initial du personnage principal a une forte répercussion sur la suite.

Fils de bonne famille, Christopher McCandless décide de tout quitter et de réaliser son grand projet : s'installer en Alaska, seul, en communion avec la nature. Sa décision personnelle, ses convictions lancent l'intrigue.

La solution : Pour que les lecteurs s’intéressent un minimum à votre récit, il doit comprendre les motivations du protagoniste. Déterminez à celui-ci un objectif clair et précis. L’objectif doit être source d’obstacles et de conflits pour le protagoniste, tel que les difficultés occasionnées l'amènent vers une évolution inévitable.

Si je vous raconte l’histoire d’Émilie, une jeune fille affolée qui a perdu de vue son frère dans un marché, vous sympathiserez immédiatement avec le personnage. Et en ajoutant que notre chère Émilie connaît des troubles de parole, l’enjeu devient tout à coup plus saisissant. Et ça serait le pied, si vous apprenez à la fin du roman qu’Émilie n’a pas de petit frère et qu’il s’agit d’une invention de sa part, métaphorique. Puisque deux secondes, plus tard, vous assistez à une dernière touche d’ironie : le père de la jeune fille, alcoolique et veuf de surcroît, la bat pour être arrivé en retard.

Suis-je trop cruel ?

Contre-exemple : Parfois, l’introduction d’une coquille vide peut servir les ambitions de l’auteur, même si je vous déconseille cette prise de risque. Dans Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry ou Le Mystère de la chambre jaune, le roman policier de Gaston Leroux, la fonction du narrateur est réduite à sa plus simple expression : mettre en valeur le protagoniste, le Petit Prince dans le premier, Joseph Rouletabille pour le second.

Dans un registre équivalent, L’Étranger d’Albert Camus ou Candide, un conte philosophique de Voltaire, sont de parfaits représentants du genre. Si si !

2. L’indésirable


Représentant des Assurances Mondass, père de famille nombreuse et archétype du casse-pieds, il apparaît pour la première fois dans L'Affaire Tournesol, puis à nouveau dans Coke en stock, Les Bijoux de la Castafiore, Vol 714 pour Sydney et enfin dans Tintin et les Picaros.
Séraphin Lampion, l'archétype du casse-pieds ?

Ce point concerne principalement les personnages secondaires. À votre avis, existe-t-il un intérêt à mettre en scène des personnages qui n’apportent rien à votre œuvre ?

Votre mission de romancier consiste à raconter une histoire ; pour qu’elle puisse se concrétiser, la présence d’acteurs, dirigeant l’intrigue vers des pôles, des perspectives, des chemins différents, est la condition sine qua non.

C’est pourquoi chaque personnage doit occuper une fonction particulière. Par exemple, la visite du personnage principal d’un psychologue n’est pas le fruit du hasard puisque, à l’aide de cet artifice, nous en apprenons plus sur la psychologie de l'intéressé. Dans cette situation, le psychologue joue le rôle du confident.

La solution : Évitez la superfluité et n'alourdissez jamais vos textes d'acteurs inutiles. Pour ce faire, vous pouvez regrouper plusieurs personnages en un seul et lui attribuer différentes fonctions : à la fois ami, confident, mentor. Et pourquoi pas futur ennemi ?

C’est dans ce mélange des genres que vous trouverez une complexité intéressante pour votre personnage, à l’instar de Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux, roman policier écrit par Thomas Harris. En effet, si Hannibal le cannibale est un personnage aussi fascinant, c’est entre autres parce qu’il représente ces différents masques qu’il portera tour à tour pendant le livre. Confident de Clarice Sterling (elle lui livrera ses secrets d’enfance), il est aussi son mentor (en l’aidant à maîtriser ses peurs, il lui permettra de résoudre l’enquête), tout en restant un antagoniste majeur en tant que criminel.

Il faudrait donc respecter un paramètre de cause à effet.

Contre-exemple : Sur ce point, deux auteurs ne cessent de m’éberluer, Charles Dickens et… Hergé.

Les personnages secondaires des Aventures de Tintin sont plus étoffés que le personnage central. Chacun d'entre eux est pourvu d'une certaine force de caractère et d'une personnalité complexe.

Séraphin Lampion mérite, à lui seul, le coup d’œil. De nature joviale, il semble à l'aise dans tous les milieux. Cet employé d'une compagnie d'assurances ne s’aperçoit pas qu'il exaspère son « public » et se croit bienvenu partout. Très volubile, il débite sans cesse des anecdotes de son oncle Anatole ; sociable à outrance, il emmène toujours sa famille avec lui.

Mais, quelle est sa fonction dans la série ? Faire rire le lecteur ou critiquer une catégorie sociale ? Les frontières ne sont pas toujours bien délimitées.

En tout cas, Séraphin Lampion, à l’image des autres personnages, sert de cadre à un univers réaliste.

3. L’irréprochable


Scène d'Ulysse (Ulisse), un film italien réalisé par Mario Camerini, sorti en 1954.
Ulysse est l'un des héros les plus célèbres de la mythologie grecque.

À force de devoir composer dans les contes de notre enfance avec des chevaliers galants et courageux, ça use. Et plutôt que de susciter l’attention et la sympathie, les personnages dits parfaits sont aujourd’hui dépassés.

Du coup, les antihéros ont pris le relais à toutes les sauces. Du hard boiled, au western spaghetti, chaque genre s’est réapproprié le modèle jusqu’aux séries télévisées actuelles. Tu m’entends, Dexter ?

D’ailleurs, nous pouvons dresser quatre figures d’antihéros :

  • le personnage ordinaire vivant une vie ordinaire dans un cadre ordinaire ;
  • le héros négatif, porteur de valeurs antihéroïques et en général antisociales, mais sans forcément des qualités « héroïques » (Dr House, Monk, Créance de sang…) ;
  • le héros déceptif, un personnage, ayant potentiellement des qualités héroïques, mais en fait un mauvais usage, ou bien celui-ci se trouve dans un cadre où ces qualités ne sont plus appréciées (Fahrenheit 451, Don Juan…) ;
  • le héros « décalé », un personnage ordinaire, sans caractéristiques particulières, qui par les circonstances se trouve plongé dans une situation extraordinaire (Les Voyages de Gulliver…).

La solution : Équilibrez la balance.

Lorsque vous créez un personnage, n’hésitez pas à le doter d’une faiblesse, même minime, face à laquelle vous le placerez. Même Superman, l’un des superhéros les plus puissants qui soient possède une faille : il est allergique à la kryptonite, une pierre, lui ôtant toute sa puissance.

Il s’agit là du bon vieux principe du talon d’Achille recyclé mille et une fois. Comme quoi la mythologie, c'est aussi instructif.

De même, les phobies constituent une source de failles inépuisables. D’ailleurs, dans l'ouvrage D'entre les morts du tandem Boileau-Narcejac, les crises de vertiges dont est sujet Roger Flavières servent de moteur à l’intrigue, ils sont source d’obstacles.

Contre-exemple : On pourrait tout à fait citer tous les récits mythologiques, classiques et autres.

Mais, Forest Gump de Winston Groom me paraît LE digne candidat des temps modernes. Rien que ça ! OK, peut-être que le protagoniste n’est pas un héros au sens où vous l’entendez. Mais, l’auteur arrive à rendre le personnage attachant, en le décrivant comme un faible d'esprit, tout en lui attribuant des actes héroïques.

Forest reste donc un héros malgré lui, mais un héros tout de même.

À suivre…


La semaine prochaine, vous apprendrez comment approfondir davantage vos personnages. Vous aurez droit à des astuces très efficaces qu’utilisent bon nombre d’écrivains professionnels et de scénaristes pour rencontrer l’adhésion du public.

Peu connues, elles font TOUTE la différence.

Alors, d’ici là, restez connecté !

Sinon, vous avez une petite idée ?

2 commentaires:

  1. Je ne comprends pas bien votre assertion sur Dr House. "mais sans des valeurs forcémment héroïques"
    Certes, c'est un anti-héros dans le sens où il est imbuvable, mais c'est également un héros car il est le meilleur dans sa catégorie et sauve la vie de personnes. Idem pour Monk, dont les travers sont anti-héroïques, mais qui punit les "méchants" (les criminels).
    Vouliez-vous dire : un héros porteur de valeurs anti-héroïques et anti-sociales, mais dont les actes sont héroïques?

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    1. Bonjour, Nicolas !

      Je veux dire par là que Dr House n'est pas un héros dans le sens classique du terme, un héros malgré lui, si vous préférez, dénué de sensibilité (voir même de sens morale).

      En tout cas, un antihéros ne peut être classé comme gentil ou méchant, sa situation non manichéenne entretient l’ambiguïté et c'est que le public semble apprécier. Il veut qu'on bouscule ses valeurs, mais il faut trouver le juste équilibre (pas trop gentil, pas trop exécrable).

      Sinon, votre définition semble tout à fait pertinente.

      Cordialement,

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