vendredi 2 novembre 2012

Pourquoi vos personnages laissent-ils vos lecteurs indifférents ? — Partie 2

Modélisation d'un personnage virtuel en 3D.
L'art de créer de bons personnages de fiction à portée de votre main.

« Ce que j’ai découvert de plus important, c’est que la perception qu’a l’auteur de ses personnages, au départ, peut être aussi erronée que celle du lecteur. » Stephen King

La semaine dernière, nous avons découvert les principales erreurs liées à la création d’un personnage de roman. Aujourd’hui, vous apprendrez
des techniques avancées en vue d’approfondir vos personnages.

Mais, auparavant, laissez-moi vous raconter une anecdote vaudevillesque.

Le programme s’annonce chargé, mais constructif...

Personnages et figurines d'Alexandre Dumas


Figurines des Trois Mousquetaires, un roman d'Alexandre Dumas.

Alexandre Dumas est un écrivain français dont les œuvres les plus marquantes demeurent Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo.

L'auteur met en scène tellement de personnages que, pour ne pas s'embrouiller, il imagine un ingénieux stratagème : lorsqu’il commence une œuvre, il représente chaque acteur de l'intrigue sous la forme d’une figurine qu’il place sur une étagère, près de son bureau.

Quand l'un d'eux meurt ou disparaît, Dumas met la figurine dans la corbeille, évitant ainsi toute confusion. Pourtant, cette méthode de travail va lui jouer bien des tours…

En pleine écriture de La Dame de Monsoreau, un roman historique publié en feuilleton par le journal La Presse, les nécessités de l'action le conduisent à tuer deux de ses protagonistes. Ainsi, leurs représentations se retrouvent dans la corbeille.

Mais, quelques jours plus tard, sa domestique, malade, se fait remplacer par une cousine qui ignore tout des techniques du maître. Faisant le ménage dans le bureau d’Alexandre Dumas, elle aperçoit les figurines dans la corbeille et pense qu'elles y sont tombées accidentellement.

Aussitôt, elle les remet sur l'étagère, si bien que, le lendemain, le romancier, qui ne se souvient plus de les avoir tués, aperçoit les figurines et les ressuscite, sans s’en rendre compte !

Huée générale auprès des lecteurs ! Heureusement, Alexandre Dumas ne manque pas d'imagination et prépare une explication à la « résurrection » des deux personnages.

Que devez-vous retenir de cette histoire ?

Les personnages constituent une porte d’entrée à votre univers tout comme une porte de sortie. Ils représentent parfois la seule raison pour votre lecteur de n’abandonner votre roman qu'à la lecture du mot FIN.

Souvent, le public s’attache à l’un des protagonistes, allant jusqu’à s’identifier à celui-ci. Vous ne pouvez pas faire d’eux ce que vous voulez ; vous devez respecter un certain pacte, signé avec le lecteur, celui de conserver une cohérence, tout au long de votre œuvre, et de partager son existence avec lui.

Les erreurs de la création d’un personnage


Voici quelques archétypes à exclure d’urgence.

4. Le statique


Adaptation de La Belle et la Bête, un conte écrit en 1757 par Madame Leprince de Beaumont.
Qui de plus détestables que les soeurs de la Belle ?

Votre protagoniste aura beau être sympathique, voire empathique. S’il n’évolue pas au cours de l’aventure, psychologiquement et physiquement, il porte peu d’intérêt auprès des lecteurs.

Ces derniers veulent le voir souffrir, mis à mal, pousser dans ses derniers retranchements. Pour ce faire, il existe un mot magique

La solution : Le conflit est la base d’une histoire. Sans conflit, il n'y a nul obstacle. Et sans obstacle, il n’y a point d’enjeu. Et sans enjeu, l’intrigue ne représente qu’un vide innommable. C’est aussi simple que ça !

Un personnage évolue progressivement, par stades ou étapes caractéristiques. Veuillez donc mettre en cours de route des obstacles, le sortir du bien-être. Cela rejoint les points évoqués précédemment.

Pour que les difficultés rencontrées par le héros soient dramatiquement prenantes, celui-ci doit posséder un défaut, un talon d'Achille que l’antagoniste va éventuellement employer contre lui.

L'ouvrage D'entre les morts de Boileau-Narcejac, porté au cinéma par Alfred Hitchcock, le maître du suspense, sous le titre de Sueurs froides (Vertigo), constitue un bon exemple. Dans une scène-clef de l’œuvre, Madeleine, la femme dont est amoureux Flavières, le protagoniste, est victime d'une crise de folie et se jette du haut d’un clocher ; Roger Flavières, terrassé par son acrophobie, n'arrive pas à dépasser ses peurs et la sauver.

Cette épreuve, par ailleurs, transforme complètement le personnage. Après quelques années de dépression et de mutisme, il commence à retourner dans les rues, dans les endroits qu'il a connus avec Madeleine. Il croit la voir partout et se refuse à accepter sa mort.

Contre-exemple : C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe.

La Belle et la Bête est un conte écrit en 1757 par Madame Leprince de Beaumont. D’un côté se trouve la Belle, jeune fille gentille, généreuse et travailleuse. De l’autre, ses sœurs, méchantes, hypocrites, jalouses au cœur de pierre.

Pour davantage de contraste, le traitement des deux sœurs se veut sommaire : elles n’évoluent pas (contrairement à la cadette), leurs intentions restant identiques du début à la fin.

La recette pour créer des personnages détestables n’a plus de secrets pour vous.

5. Le détaché


Personnages de NCIS : Enquêtes spéciales, une série télévisée policière américaine, créée par Donald Paul Bellisario et Don McGill, et diffusée depuis le 23 septembre 2003 aux États-Unis sur le réseau CBS et au Canada sur le réseau Global.
Quelles sont les raisons du succès de NCIS ?

Je crois qu’il s’agit du point le PLUS essentiel et pourtant le plus négligé : les relations entre les personnages.

Imaginer une galerie de personnages fournie, complète et où chaque acteur possède chacun une fonction particulière est déjà un premier pas. Néanmoins, cela ne suffit pas !

Je m’explique… Une intrigue ne peut fonctionner que si chaque protagoniste joue un rôle. Cependant, elle risque de paraître artificielle et non crédible. C’est là que rentrent en jeu les liens.

La solution : Une fois encore, la place du conflit demeure prépondérante. Les séries télévisées, dans ce domaine, rivalisent d’inventivité, allant jusqu’à créer un micromonde ou des relations complexes dans un groupe (faute d'appellation adéquate).

NCIS : Enquêtes spéciales présente une équipe d'enquêteurs de terrains et de scientifiques du Naval Criminal Investigative Service, dirigée par l'agent Leroy Gethro Gibbs, dont les membres tentent de résoudre des affaires criminelles liées à la marine des États-Unis.

NCIS a depuis ses débuts mis en exergue les relations entre les personnages et leur vie privée. Ainsi, à l'inverse d'une série comme Les Experts, elle n'est pas avare en renseignements sur la vie des personnages, en dehors de leur métier, sur leur passé, leur vie sentimentale, leurs relations mutuelles (amitié, compétition, amour...).

Les rôles sont clairement définis et les liens entre les personnages sont très forts. Ainsi, les relations entre les personnages sont amicales, notamment au sein de l'équipe de terrain (Timothy McGee, Anthony DiNozzo et Ziva David) qui se taquine continuellement. Cette bonne humeur contraste avec le caractère strict, autoritaire et renfermé de leur chef, Gibbs. La relation entre Ziva et Tony est assez floue et occupe une place importante dans la série, mêlant séduction, amitié et taquinerie.

L'équipe de terrain est très soudée et peut s'appuyer sur l'aide précieuse du médecin légiste Donald Mallard, de son assistant ainsi que d'Abby, la technicienne de laboratoire. Les oppositions de points de vue entre le directeur de l'agence Leon Vance et Gibbs, chef de l'équipe, sont régulières.

Pour résumer, évertuez-vous à tisser des liens forts et marqués entre vos protagonistes : rivalité, amitié, amour, identification, solidarité, admiration et tutti quanti.

Bien sûr, ces liens seront amenés à évoluer. Quoi de mieux qu’une dose de nuance et de conflit pour revitaliser l’ensemble ?

Contre-exemple : Je ne vois pas comment passer outre. Mais, si vous avez un contre-exemple, il est le bienvenu ici !

L’astuce de l’écrivain : Si vous avez du mal à vous y retrouver, je vous recommande cette technique. Commencez par partir à la chasse d’idées puis construisez X tableaux avec P colonnes et P lignes (le nombre de tableaux correspond au nombre de chapitres tandis qu'il vous faut une colonne et une ligne par personnage).

Vous y déroulez les relations entre les protagonistes. Par exemple, si vous avez 6 personnages et 12 chapitres, vous ferez 12 tableaux avec 6 colonnes et 6 lignes chacun. Lorsque la colonne et la ligne sont identiques (présentant donc le même personnage), vous décrirez la relation de celui-ci avec lui-même (confiance, culpabilité, etc.).

Grâce à cette méthode, vous savez où vous voulez aller, en vous autorisant pendant l’écriture tous les détours nécessaires à l'évolution des acteurs, dans un souci de cohérence et de naturel.

6. L’anonyme


Photo de Il était une fois dans l'Ouest, un film de Sergio Leone sorti en 1968 et considéré comme l'un des chefs-d'œuvre du genre western spaghetti.
L’homme à l’harmonica, l'exception qui confirme la règle !

Votre personnage est un Monsieur Tout-le-Monde. Cool ?

Si vous ne pouvez décrire votre protagoniste, c’est qu’il y a un problème. L’erreur la plus répandue, à mon avis, concerne les personnages stéréotypés, monolithiques ou possédant une unique facette, une unique personnalité.

Connaissez-vous dans la vraie vie une personne toujours triste... ou toujours gentille ? Je ne crois pas. Même le mortel le plus torturé a une part d’humanité, des défauts, en lui.

Je me disperse…

La solution : La caractérisation, telle est la clé ! La caractérisation d’un personnage repose sur deux étapes :

  • attribuer des traits de caractère à un personnage ;
  • travailler pour que ces traits de caractère soient compréhensibles aux yeux du lecteur (de la façon la plus subtile).

La caractérisation apparait régulièrement à travers l’action et les propos du protagoniste. Un personnage est défini par sa dimension physionomique (son apparence, son aspect vestimentaire…), sa dimension sociologique (son âge, ses origines sociales, sa religion, sa profession, son style de vie…) et sa dimension psychologique (ses gestes, son comportement…).

Seuls le dialogue et l’action peuvent véhiculer les informations de la dernière dimension mentionnée.

« C’est au travers de leurs actions que se dessinent leurs caractères [...] Sans action, il ne saurait y avoir de tragédie, tandis qu’il pourrait y en avoir sans caractères [...] Ainsi le principe et si l’on peut dire, l’âme de la tragédie c’est l’histoire ; les caractères viennent en second. » Aristote

Je vous recommande la lecture de cette fiche récapitulative sur la caractérisation des personnages. Très instructif !

Contre-exemple : Dans le film Il était une fois dans l’Ouest, réalisé par Sergio Leone, le héros incarné par Charles Bronson est un personnage étrange, fantomatique.

Bien que les spectateurs connaissent peu de choses à son sujet, au bout de trois heures de film, ils découvrent, médusés, l’objectif réel du bougre : se venger d’un homme qui a tué son frère, trente ans auparavant.

La démarche scénaristique est très risquée, mais le public n’est pas frustré de ne connaître qu’à la fin l’objectif de l’homme à l’harmonica, car les scénaristes ont pris soin de développer suffisamment d’intrigues secondaires et d'arcs narratifs pour que jamais l’intérêt ne retombe.

À vous de jouer


Photo de Ronald Lee Ermey, interprétant le sergent Hartman, l'instructeur des Marines qui prend en charge la formation des recrues dans Full Metal Jacket.
 La balle est dans votre camp !

Cet article est sorti avec un peu de retard, j’en suis conscient. Mais, je désirais, avant tout, vous fournir la source la plus exhaustive possible. Certes, la mission n’est pas atteinte à 100 %, j’en suis conscient.

Au moins, j’espère que vous trouverez par le biais de cet aperçu de nombreuses pistes illustrées d’exemples et de nouvelles astuces pour créer de bons personnages.

Il ne vous reste plus qu’une chose à faire : pratiquer.

Bonne lecture !

4 commentaires:

  1. N'y a-t-il pas moyen aussi de se laisser bercer par son imagination et son instinct ? Toutes ces techniques d'écriture peuvent peut-être se révéler utiles, mais les qualités primordiales me semblent être la passion et la répétition : écrire, écrire, et encore écrire.

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    1. Bonjour, Greg !

      Je ne suis pas là pour dicter telle ou telle conduite. À ce sujet, vous pouvez lire cette page qui résume assez bien l'esprit du blogue. J'essaie simplement de donner des pistes, des conseils, des exercices et quelques astuces à qui de droit.

      C'est à vous ensuite de prendre ce qui vous intéresse. Cependant, dans cet article, je ne fais pas vraiment mention de techniques d'écriture (à part la méthode du tableau). En effet, je catalogue les erreurs communes liées à la création de personnages, tout en nuançant (les contre-exemples). Ce dossier peut notamment se montrer utile, lors de la réécriture.

      Pour répondre à votre question, oui et non. Je reste un fervent défenseur de l'« écriture traditionnelle » qui ne requiert pas l'utilisation d'un plan. D'ailleurs, je vous invite à parcourir, si ce n'est déjà fait, les billets précédents comme celui qui expose les 5 qualités nécessaires d'un écrivain. Je prône l'instinct, mais je suis intimement persuadé que pour nourrir l'imagination, on a besoin de matière dont la source inépuisable demeure la vraie vie, le cinéma, la littérature, etc.

      L’écriture fonctionne souvent par association d’idées : telle porte ouvre sur telle autre, parfois sur une impasse, laquelle impasse vous donne l’idée de repartir dans telle direction et ainsi de suite.

      Sinon, je suis d'accord, en ce qui concerne la primordialité de la pratique et la lecture. Je me suis attardé sur le premier chapitre de votre roman de fantasy. L'incipit est intrigant et servi d'une écriture simple et imagée. Je vous souhaite bonne chance pour la suite de votre projet !

      Cordialement,
      Paul Dubois

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  2. Bonjour,

    Merci pour vos articles, toujours très intéressants. Je suis en pleine écriture d'un roman (qui au départ était juste une nouvelle, qui a pas mal grossi), mais j'ai peur de manquer un peu de recul. Je me relis sans cesse pour essayer de voir d'un oeil nouveau si ce que j'écris est clair et compréhensible, mais suis-je vraiment impartial? A certains moments, je doute (est-ce que ce que j'écris n'a pas été déjà écrit par quelqu'un d'autres avant moi, et en mieux?), à d'autres je suis survolté, je me laisse emporter par mon récit, c'est assez grisant.
    En tout cas, votre blog permet d'avoir un peu de recul et de regarder ce que j'écris avec un oeil un peu nouveau :)

    Cordialement,

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    1. Bonjour, Caiuspupus !

      Dans un premier temps, on peut avoir l’impression qu’il ne sert plus à rien de tenter d’écrire un livre aujourd’hui puisque tout a déjà été fait. Pourtant, si les structures se ressemblent, c’est évidemment le contenu qui va différencier un roman d’un autre, les personnages que l’auteur fera naître, et les situations dans lesquelles il les plongera.

      Donc, peut-être que les thèmes (amour, trahison, vengeance, etc.) sont inhérents au genre littéraire. Cependant, à chacun sa façon de traiter l'ensemble.

      L'écriture comporte des hauts et des bas, des moments forts et des moments moins soutenus. Il n'existe pas d'écrivain, à mon avis, qui n'a pas eu affaire à de telles considérations, mais l'essentiel est de les dépasser.

      Je vous conseille d'écrire le premier jet de votre roman, sans jamais retourner en arrière. Pensez au présent. Imaginez-vous, en train d'escalader un mur. Ne regardez pas le vide !

      Sinon, merci de votre visite et votre intéressant commentaire !

      Cordialement,
      Paul Dubois

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